Au début des années 1960, un film émergea du brouillard cinématographique comme un rêve éthéré : « L’Année Dernière à Marienbad ». Réalisé par Alain Resnais et écrit par Alain Robbe-Grillet, ce film devint rapidement un monument de l’art cinématographique, où chaque image, chaque silence, chaque dialogue semblait suspendu dans une temporalité propre.
Plongé dans un somptueux hôtel baroque, le film narre une histoire ambiguë et fascinante, où la réalité et la mémoire s’entremêlent jusqu’à devenir indiscernables. Le personnage masculin, interprété par Giorgio Albertazzi, tente de convaincre une femme, incarnée par Delphine Seyrig, qu’ils ont eu une liaison l’année précédente dans ce même endroit. La femme, quant à elle, semble oscillante, entre souvenirs flottants et scepticisme. Le spectateur est alors invité à une danse hypnotique, où les frontières entre le rêve et la réalité se dissolvent doucement.
« Des salles silencieuses où les pas de celui qui s’avance sont absorbés par des tapis si beaux, si épais, qu’aucun bruit de pas ne parvient à sa propre oreille, comme si l’oreille, elle-même, de celui qui s’avance, une fois de plus, le long de ce couloir, à travers ces salons, ces galeries, dans cette construction d’un autre siècle, cet hôtel immense, luxueux, baroque, lugubre où des couloirs interminables se succèdent aux couloirs, silencieux, déserts, surchargés par des corps sombres froids des boiseries, de stucs, des panneaux moulurés, marbres, glaces noires, tableaux aux teintes noires, colonnes, encadrements sculptés des portes, enfilades de portes, de galeries, de couloirs transversaux qui débouchent à leur tour sur des salons déserts, des salons surchargés d’une ornementation d’un autre siècle. Des salles silencieuses où les pas de celui qui s’avance… »
Je me souviens de ma première rencontre avec « L’Année Dernière à Marienbad », de ce moment où, enveloppé par l’atmosphère envoûtante, j’ai été transporté dans cet univers onirique. Chaque plan semblait minutieusement composé, chaque dialogue, murmuré comme une confidence égarée. Le jeu de lumière et d’ombre, les couloirs infinis de l’hôtel, tout contribuait à créer une symphonie visuelle et auditive.
On raconte que Resnais, perfectionniste acharné, passait des heures à régler les moindres détails des scènes. Un jour, il aurait fait refaire une scène plus d’une vingtaine de fois, insatisfait de la manière dont une simple porte se fermait. Les acteurs, bien que parfois épuisés par cette quête incessante de la perfection, étaient captivés par la vision artistique du réalisateur.
Delphine Seyrig, véritable icône de l’élégance, apportait une grâce innée à son personnage. On dit qu’elle choisissait elle-même une partie de sa garde-robe, collaborant étroitement avec la costumière pour s’assurer que chaque tenue reflétait l’aura mystérieuse de son personnage. Une anecdote célèbre relate que lors d’une scène de danse, Seyrig, enfilant une robe d’une délicatesse exquise, se serait exclamée que la danse elle-même devenait une extension de son costume, chaque mouvement soulignant les plis et les tissus.
L’énigme du film réside aussi dans ses décors. Les jardins à la française, avec leurs allées rectilignes et leurs statues immobiles, contribuent à l’impression de labyrinthe temporel. Les jardins du château de Nymphenburg et ceux de Schleissheim en Allemagne, où certaines scènes furent tournées, ajoutent une dimension presque surréelle au film. Les statues, spectatrices silencieuses, semblent elles-mêmes figées dans le temps, comme des gardiennes d’un secret enfoui.
Ainsi, « L’Année Dernière à Marienbad » demeure un chef-d’œuvre intemporel, une exploration poétique des méandres de la mémoire et du désir. Chaque visionnage est une invitation à se perdre dans un labyrinthe de souvenirs et d’émotions, à redécouvrir les nuances subtiles et les symboles cachés qui font la richesse de cette œuvre. En quittant l’écran, le cœur empreint de cette mélodie visuelle, on emporte avec soi une parcelle de cette magie insaisissable, une lumière éphémère qui éclaire nos propres souvenirs.
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