Au détour des avenues parisiennes, telles des sentinelles immobiles, se dressent les colonnes Morris, ces étranges monolithes cylindriques qui ponctuent le paysage urbain de la capitale française. Introduites pour la première fois en 1868, ces colonnes publicitaires ont su s’intégrer dans le tissu urbain de Paris, devenant des symboles familiers et charmants de la ville lumière.

Les colonnes Morris, nées de l’imagination de l’imprimeur Gabriel Morris, avaient pour mission première de réguler l’affichage sauvage qui envahissait alors les murs de la capitale. En offrant un espace dédié et organisé pour les annonces de spectacles, elles ont rapidement trouvé leur place dans le cœur des Parisiens. L’idée de Morris était simple mais ingénieuse : créer une structure esthétique et fonctionnelle qui servirait de support aux affiches tout en embellissant les rues de Paris.

Une anecdote intéressante nous ramène aux premières années d’existence des colonnes. Un jour de printemps en 1870, un promeneur distrait, absorbé par la contemplation d’une nouvelle affiche annonçant la première d’une pièce de théâtre, trébucha et fit tomber son chapeau dans une bouche d’égout. L’incident provoqua une légère émeute de rires parmi les passants et fit les délices des chroniqueurs de l’époque. Ce jour-là, les colonnes Morris devinrent non seulement un support publicitaire mais aussi un élément incontournable de la vie quotidienne et sociale de Paris.

Au fil des décennies, les colonnes se sont multipliées, témoignant de l’évolution des goûts et des modes. Dans les années 1920, les affiches Art Déco, avec leurs lignes épurées et leurs couleurs vives, habillaient les colonnes, reflétant l’effervescence artistique de l’époque. Les colonnes elles-mêmes devinrent des œuvres d’art, participant à l’embellissement de la ville et attirant l’œil des passants.

Lors de la Seconde Guerre mondiale, les colonnes Morris jouèrent un rôle inattendu. Certaines furent utilisées par la résistance pour communiquer des messages codés ou pour dissimuler des documents. Leur présence, apparemment anodine, devint alors un outil précieux dans la lutte contre l’occupant, ajoutant une dimension héroïque à leur histoire.

Un autre épisode mémorable eut lieu dans les années 1960, lorsqu’un groupe d’artistes avant-gardistes décida de « détourner » plusieurs colonnes Morris en y collant des affiches provocatrices et surréalistes. Cet acte de rébellion artistique fit scandale, mais aussi sensation, et contribua à redéfinir le rôle de ces colonnes dans l’espace public, les transformant en supports de créativité et d’expression libre.

Aujourd’hui, les colonnes Morris continuent de rythmer les trottoirs parisiens, portant les annonces de spectacles, de films et d’événements culturels. Elles sont plus que de simples supports publicitaires ; elles font partie intégrante du paysage parisien, témoins silencieux de l’évolution de la ville et de ses habitants. Chaque colonne, avec ses affiches colorées et ses courbes gracieuses, raconte une histoire, celle de Paris et de ses multiples visages.

Ainsi, à chaque coin de rue, les colonnes Morris nous rappellent que même les objets les plus ordinaires peuvent avoir une histoire extraordinaire, enracinée dans le quotidien et élevée par le temps et la mémoire collective.