Traversant en quelques années le monochrome, le Body-art, l’Art conceptuel, la dématérialisation de l’œuvre d’art, la vie et l’œuvre d’Yves Klein condensent l’aventure des avant-gardes du XXe siècle. Entre 1955 et 1962, Klein réalise la totalité de son œuvre, riche de plus de mille pièces. Après la réalisation de monochromes de différentes couleurs, l’élaboration de la formule du bleu outremer foncé (appelé IKB, International Blue Klein) en 1956, le lâcher d’un millier de ballons bleus et les sculptures-éponges en 1957, il expose le « vide » chez Iris Clert en 1958. En 1960, il réalise les Anthropométries et les Cosmogonies qui se veulent des empreintes de phénomènes naturels, et fonde le groupe des Nouveaux Réalistes autour de Pierre Restany. S’intéressant aux éléments naturels l’air, l’eau, le feu , il entreprend ensuite ses peintures de feu. De son saut dans le vide, le 27 novembre 1960 où le peintre de l’espace se fait photographier en train de défier la gravité, aux Anthropométries, à Ci-git l’espace en 1962, le corps est omniprésent dans l’œuvre d’Yves Klein.

En même temps que ses monochromes bleus, Klein réalise, avec le pigment IKB, sa série d’Anthropométries. Cette Antropométrie est une variante de la première œuvre de la série Célébration d’une nouvelle ère anthropométrique. Elle en diffère par un léger mouvement, vers le haut et le bas, des cinq corps-empreintes qui tracent ici une ligne plus irrégulière.

Sur le blanc de la toile des jeunes femmes, dont les corps nus sont enduits de peinture bleue, réalisent, sous la forme d’une performance publique à la Galerie internationale d’art contemporain, ces tableaux où Klein orchestre comme le note Catherine Millet :

« la rencontre de l’épiderme humain avec le grain de la toile »

Cette rencontre se fait par simple contact, la couleur passant directement du corps-pinceau à la toile et de la toile au regard du spectateur. Le savoir faire du peintre n’existe plus dans ces œuvres où s’efface la facture. Les corps de chair, eux-mêmes réduits à des tampons, semblent disparaître devant une autre vérité que ces empreintes de seins, de ventres, de cuisses amènent à la surface, celle de la trace réelle, donnant à voir l’immédiateté du contact.

Travail de négatif et d’aplatissement des corps niant tout effet de profondeur, l’empreinte est en deçà de la représentation, trace du travail du modèle, en même temps médium et motif. Le corps de l’artiste peignant ainsi que le corps figuré manquent ici. Contrairement à Pollock, dont la peinture était le résultat de son geste et de son corps à l’œuvre, il s’agit ici, comme le souligne Klein, de « projeter ma marque hors de moi ».