Leonard Tsuguharu Foujita commence ses études à l’Ecole des beaux-arts de Tokyo dans la section de peinture européenne (instituée avec l’occidentalisation de la peinture pendant la période Meiji), avant de s’installer à Paris, en 1913. Là, il participe à la grande effervescence de Montparnasse, dont il devient l’une des vedettes. Délaissant le style italianisant teinté de japonisme et l’influence du Douanier Rousseau, il réalise une série de nus – genre presque absent de la peinture japonaise d’après modèle vivant.

S’inspirant librement de l’Olympia de Manet et des odalisques de Titien et d’Ingres, Foujita peint une femme nue couchée lascivement, au corps blanc nacré sans modelé, regardant directement le spectateur, le buste légèrement redressé sur un lit recouvert de draps blancs diaphanes, brouillés de plis. Mais il mêle à ce sujet classique mis au goût du jour, non sans humour (le modèle aux traits asiatiques serait, selon le peintre lui-même, la fameuse Kiki de Montparnasse), la tradition japonaise. Le corps sensuel dont les formes se dilatent, est d’une blancheur d’émail, cerné par un trait à l’encre noir : « Une ligne régulière dont le tracé net et fin à la fois serait comme celui d’un rasoir que l’on aurait promené sans vouloir insister. »

Don de l’artiste en 1961, Nu couché à la toile de Jouy, 1922 fut l’un des premiers tableaux de nus d’après modèle vivant de Foujita.

Le nu est enchâssé dans une alcôve, constituée d’une cantonnière à volants et de deux embrases en toile de Jouy couleur sépia; on y lit des saynètes (fractionnées par la découpe de la toile) à la manière de la peinture du XVIIIe siècle représentant les amours de Vénus et Mars à la barbe du mari trompé, Vulcain, travaillant au fond de sa forge, détail rappelant qu’on assiste à une scène de « boudoir ». Il réduit la gamme chromatique en utilisant la bichromie de la toile de Jouy (le sépia et le blanc) et le blanc et noir pour la représentation de la femme, provoquant un fort contraste entre ces deux images. Très sensible aux détails du folklore français (images d’Épinal, faïence de Quimper, toile de Jouy), un critique en vint à dire qu’il « passait pour un peintre francisé aux yeux des Japonais et pour un pur Japonais vis-à-vis des Occidentaux ».